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Diaporama
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La dernière dont s’empara Dado, à la force des pinceaux, fut celle qui véhiculait Buffon. L’aimable pourchasseur d’insectes, entre Paris et Montbard, sommeillait sans doute. Dado me demanda un petit coup de main pour le réveiller. Et perpétrer son crime. En connaissance de cause, si j’ose dire. On n’aime guère assassiner des morts.
Mais, cette fois, il s’en prend à un carrosse beaucoup mieux gardé, précédé et suivi d’une escorte quasi royale. Et ce carrosse qui dans la journée s’arrête parfois pour laisser descendre quelque jolie marquise au minois poudré – besoin oblige – cache dans l’ombre de ses portières un être autrement bigarré et d’un charme autrement redoutable, le cardinal de Retz.
Double plaisir en perspective : tuer l’un, et, sur le corps encore chaud du prélat, jouir de la douce intimité des autres.
Avant de passer à l’acte, Dado s’informe sur le personnage dont il va, en quelque sorte, traverser la vie. Un peu comme on parcourt un menu. Un ami ferrailleur lui met dans les mains les œuvres complètes du cardinal de Retz, et le voilà qui s’y plonge. Il ne se retient pas d’admirer. Sous l’œil rieur de ses filles, belles toutes deux comme les marquises dont je viens de parler, et dont les têtes bien faites, ayant jonglé avec de hautes études, sont fort habiles à distinguer le vrai du faux comme à déchiffrer le caractère d’un homme. Dado, lui, se livre à sa lecture sans réticence : il peut se permettre d’adorer, puisqu’il va sacrifier. C’est un privilège qu’il se réserve, dont il entend user sans témoin, dans la solitude d’un atelier qui deviendra cette diligence où son tête à tête, forcément un peu douloureux, avec le cardinal va commencer. De là à conclure que Dado est un moraliste et qu’il veut donner à chacun la mort qui lui est due…
Mais, au fait, qui est Retz, et mérite-t-il tant d’honneurs ? En marge d’une vocation forcée, homme des plus complexes, de duels en aventures galantes, s’attachant pour finir à son métier de cardinal, mais encore coupable de récits bourrés de « petits faits vrais », que lisait Stendhal, mélange détonant de beaucoup d’individus, dont quelques-uns – il adore César – peu fréquentables. Mais, pour racheter l’ensemble, un habit et un style. Qui est Retz ? Chacun peut bien sûr s’en faire une idée en lisant ses Mémoires. Dado, lui…
Il a voulu connaître son homme de plus près, comme si toute exécution capitale appelait quelque jugement, préalable ou posthume, mais qui de toute façon vous lave les mains de l’avoir entreprise. Le coup fait, nous voici rendues enfin visibles aujourd’hui, et comme étalées sur les murs, les armes du crime ; l’arme, pourrait-on dire, qui a servi à cette mise à mort : des tableaux qui n’en font qu’un seul, surchargés, hurlants, provocants – saignants encore, tels des fers dans la plaie, des fers qu’on y replonge comme si chaque plaie était un brasero où l’on chauffe sa lame avant de la marteler sur l’enclume pour, mieux aiguisée, l’y plonger derechef. J’ai parlé d’enclume : la tête de Dado bien entendu. Mais pourquoi pas aussi le brasero, puisque c’est là, dans le feu, que tout commence.
Pierre Bettencourt, été 1992.