Dado. Du fugace et de l’éternel (34 min)
Un film de Sanja Blečić réalisé avec la collaboration de Snežana Nikčević (2023).
Avec la participation de : Amarante Szidon, fille de l’artiste, Laurent Le Bon, Président du Centre Pompidou, André Gélis, ancien maire de Sérignan, Jérôme Hirigoyen, chargé de mission, Conservatoire du littoral, Germain Viatte, directeur honoraire du Musée national d’art moderne, Benoît Dagron, conservateur-restaurateur, Aude Aussilloux, conservatrice-restauratrice, Émilie Lormée, conservatrice-restauratrice, Stéphane Bausch, tagueur, Laura et Pascal Catry, propriétaires de l’Ambassade de la IVe Internationale.
Ce documentaire, diffusé sur la première chaîne de télévision nationale monténégrine (RTCG1) le 21 février 2023, a été réalisé par la RTCG à l’occasion du grand projet de restauration du « Guernica en couleur » de Dado, Les Orpellières, l’ancienne cave vinicole recouverte de tags anonymes dans laquelle l’artiste est intervenu entre 1994 et 1999, en plein conflit yougoslave.
Situé près de Sérignan dans l’Hérault, dans une zone classée Natura 2000, riche d’une faune et d’une flore exceptionnelles, ce chef-d’œuvre in situ témoigne de la passion de Dado pour le vivant et de sa fascination pour les tags, langage urbain qu’il découvre lors de son premier voyage à New York, en 1962.
Lancé en mai 2022, le chantier de restauration des Orpellières, piloté par le Conservatoire du littoral, soulève des questions passionnantes pour l’équipe de conservateurs-restaurateurs, Dado étant intervenu sur des murs « vivants », abîmés et imprégnés d’humidité, intégrant dans son œuvre le principe destructeur de la nature. Enrichi de nombreuses archives inédites, le documentaire met également en lumière l’importance du tag dans la démarche créative de Dado au cours des années 1990, notamment à travers sa collaboration avec le tagueur Stéphane Bausch sur les murs de l’Ambassade de la IVe Internationale, à Montjavoult.
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Ils sont tous là – remontés de la ténèbre intérieure de Dado et venus s’écraser sur les murs des Orpellières ou s’agglutiner en monceaux de sculptures hybrides et délirantes, les rompus, les torturés, les déchirés, les déchaînés, toute la lie de l’enfance, toute l’engeance des cauchemars. Ils grouillent et souillent. Si l’on s’abstrait des bruits ordinaires de la vie et si l’on prête l’oreille, par-delà le silence propre à la peinture, au colloque des formes, c’est un concert qui nous saisit, de hurlements, de gémissements, d’imprécations. L’âme serait soulagée si elle entendait sinon une parole du moins un rire. Mais ici, les bouches ne sont tracées que pour le cri, de même que les yeux, quand ils ne sont pas vides, ne se signalent que par les larmes.
Aux Orpellières, pour une éternité aux dimensions de l’humain, l’exode des figures de la douleur et de la déréliction s’est arrêté. Les murs retiennent les monstres. Ils n’iront pas plus loin. En quelque sorte, les voilà sauvés – rescapés arrêtés dans la fureur et absous par la plus sombre et la plus tumultueuse beauté qui soit. Encore savons-nous bien que d’autres hordes dadomorphes se sont exilées de tous les malheurs de nos temps et se sont engouffrées dans d’autres refuges. Tant qu’il y aura Dado et tant qu’il y aura des murs, le peuple des saccages continuera de proliférer et ses essaims de saturer les lieux de repos jusqu’à la destruction du monde.
Dado aux Orpellières, Claude Louis-Combet, 2006.
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Paroi coulée, abattis d’êtres composites, d’organes et d’objets dérisoires. Spermes ou sangs noirs giclant en report sur la vitre. Buées aveugles pour des averses de charognes vives.
Chaque cadre est ici case, et fenêtre, et porte sur des béances familières. Comme souvent, depuis ses premiers tableaux, Dado crucifie la mémoire sur les terres verticales des terreurs enfouies, là où la violence des jours ordinaires refuse toute neutralité et livre des ferveurs douceâtres. Improbables et hallucinées, les visions d’atroces et tendres humanités de ce Monténégrin de France hantent aujourd’hui les journaux de la planète entière : elles interrogent les miroirs de nos demeures jusqu’au midi de l’œil.
Faut-il fuir ce que peut faire l’homme ou se résoudre à l’interroger ?
Germain Viatte, 1996
Texte initialement publié dans le catalogue
de la IIIe Biennale de Cetinje.
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Le fait de parler d’art dégénéré nous renvoie à un discours nazi ou réaliste socialiste. Cela ne peut déboucher que sur un néant culturel absolu. La dégénérescence est pourtant une vertu artistique, elle fait partie intégrante de mon travail. Je suis fasciné par la décomposition organique. L’art est sans doute un des rares domaines où tout le monde a droit de cité. L’art officiel, dans le sens concret du terme, à savoir l’art inscrit dans une société, en total accord avec elle, ça ne me concerne pas. L’art officiel que je souhaiterais devrait réaliser une jonction parfaite entre Lascaux, la chapelle Sixtine, les hospices de Beaune et les Orpellières, une ancienne usine couverte de tags de rappeurs dans laquelle je travaille en ce moment. Si j’ai utilisé le support des tags pour peindre, c’est parce que je considère que les tags – comme les dessins de détenus de maison d’arrêt – devraient constituer le corps même de l’art officiel, car ils sont l’expression la plus tragique et la plus authentique de la violence sociale.
Dado, peintre : « La dégénérescence est une vertu artistique »,
L’Événement du Jeudi, 17 au 23 avril 1997. Voir la coupure de presse.