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Diaporama
plein écran
La lumière vient-elle de ce ciel bleu qui borde étroitement le mur ou le radeau au moment où il va s’enfoncer au cœur de la terre, ou qui – ici, dans Les Flandres, en un beau défi de peintre – tient plus de la moitié de la toile ? En l’absence du ciel, elle demeure la même : celle d’un aquarium, peut-être, où l’eau disparue aurait laissé cette empreinte de clarté. Quant à l’heure, est-elle celle d’une aube bleutée, d’un crépuscule rosâtre ? Nous ne le savons pas davantage, et mieux vaut dire qu’il n’y a pas d’heure, du moins par rapport à notre journée ; mais il n’est pas sûr non plus qu’il y ait une heure dans le temps, puisque que nous hésitons entre le terme de l’apocalypse (l’an deux mille n’est pas loin) dont témoignent ces corps défaits, ravinés, usés jusqu’à leurs cordes, et des limbes que suggèrent notamment – mêlés à cette tératologie préhistorique – ces enfants joufflus, condamnés par l’éléphantiasis à ne vivre jamais. Un faux-pas nous fait entrer – par effraction – dans le rêve d’un autre, et si, fermant les yeux, nous continuons à voir l’image, elle a peut-être disparu de la toile, tant elle nous paraît impalpable, fantasmagorie projetée sur l’écran vide par l’invisible lanterne magique, marée couvrant son espace d’un unique et irrésistible mouvement ; sa nécessité indécomposable nous défie de savoir de quel montage, de quel acte délibéré de l’artiste chaque image tient sa différence. (Dès lors, comment risquer une préférence, marquer un progrès ?)
Cependant, l’image est toujours là, de loin déployée avec le faste, l’entente décorative d’une grande fresque, d’un plafond baroque, et attestant, pour peu que nous nous rapprochions, qu’elle est une image peinte, chaque détail tenant à sa place, dans sa marge, en parfaite connivence avec l’ensemble : ce rêve est bien celui de la main du peintre, sans cesse plus évidente et assurée. Quant à ce monde dont nous hésitons maintenant à nommer les objets et les apparences successives, au moins pouvons-nous dire, et du premier regard, que sa trame est celle de la violence et de la mort, du bruit et de la fureur, où il nous est loisible de lire à la fois les aveux d’une destinée personnelle très tôt marquée par de telles rencontres, et les signes d’un temps. Mais nous le recevons filtré, estompé : tapisserie, toile de Jouy, vignettes revenues de livres anciens, paravents pour chambres et rêves d’enfants, conte rose et bleu, féeries d’une douceur patiente, rusée, d’un cœur tendre qui ne peut supporter la violence, et la désavoue non pas en l’oubliant, mais en la changeant en son imagerie. Pourtant, la blessure n’est pas refermée : un autre regard ouvre la cicatrice. – Décidément, il ne sert à rien de dire. Il ne faut pas cesser de regarder.
Gaëtan Picon