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Le retour de Dado ? A-t-il jamais en fait quitté Cetinje ? Le fait que de temps en temps, et peut-être même pendant plusieurs années, il n’y soit pas — ce n’est pas partir. C’est le signe que là-bas, quelque part dans le monde, il a « périodiquement, à tout jamais » des bleus à l’âme. « Je me vante de n’avoir jamais quitté le Monténégro en esprit, par les émotions. Mais en réalité, je l’ai fait et c’est ce qui, d’une certaine manière me rend malheureux… Toute ma peinture est arrachée au Monténégro, tout comme lorsqu’on enlève une épine du talon ou de la main. J’extirpe ces images du Monténégro », dit Dado. Son œuvre pour la biennale de Cetinje de 1991, organisation d’objets assemblés, intitulé « Hommage à Danilo Kiš », Dado l’a commencée avec deux éléments massifs centraux — des troncs de peupliers desséchés, placés au bord de l’espace vert du « Jardin du prince-évêque ». Il les a décorés de « fleurs de la civilisation », déchets de rues de n’importe quelle banlieue urbaine, ce qui, en plein air, faisait l’effet d’un amas fortuit d’objets. Cet héritage de la vie urbaine était le regard de l’autre côté sur son apparence nue ; tels les points de vue définis par Emile Cioran ou Henri Michaux, mais par le truchement de serpents et d’oiseaux morts, de jouets d’enfants de Dado (l’homme, en réalité, sort-il jamais de l’enfance ?), un véritable retour a « ce qui fut et n’a pas passé ».
Il n’est intervenu qu’à certains endroits, afin de donner plus d’effet à la présentation du matériel, en noir et rouge.
La réaction des habitants de Cetinje, habitués aux manifestations en musée et à l’esprit des valeurs classiques, confrontés à l’installation de Dado, peut être assimilée à leur attitude face à la conception de la biennale de Cetinje. Bien que cette question ne fût pas primordiale pour Dado, il la perçut pourtant et, du fond de son subconscient, la réponse lui vint. « D’aucuns vont être surpris quand ils verront tous ces troncs, ces pots et ce bric-à-brac. Ils penseront que je déconne ou que je suis devenu fou ». Cependant, malgré leurs interrogations intimes que Dado a, sans nul doute, définies avec précision, leur réaction ouverte ne fut pas sans élégance. Ils restèrent convaincus de son talent exceptionnel.
Le rôle rédempteur de l’art dans le travail de Dado s’est exprimé plus fortement encore dans le démontage et la réinstallation de l’œuvre dans l’espace de son atelier. À vrai dire, ce n’était plus la même installation. Aux serpents, oiseaux, morceaux de viande séchée et divers déchets sont venus s’ajouter quelques portes intérieures de la vieille maison familiale, sur lesquelles il a fixé ses aquarelles et gouaches de jeunesse et où apparaissent certaines personnes reconnaissables de Cetinje, ainsi qu’un vieux réfrigérateur. Sur quelques panneaux peints et dans les interventions picturales sur des bûches (les troncs des peupliers ayant dû être coupés), l’élément de liaison reste le noir et la couleur rouge, dont il a entièrement coloré certains objets, mettant ainsi en relief les rapports formels. L’assemblage n’étant plus en pleine lumière (dans son atelier, la lumière du jour est faible), l’ouvrage a été harmonisé et seules les formes plus prononcées ont, dans la pénombre, gagné un rôle dominant.
Pour ce qui est du « langage de la quantité », comme on a qualifié un semblable procédé chez Arman, certains segments sont, on peut le dire, des métamorphoses tridimensionnelles de cette peinture dont E. L. Smith affirme que ce sont des œuvres d’un surréalisme vériste. Un tel traitement des éléments et « l’exposition » de ses premiers travaux parmi des rebuts urbains et des matériaux biologiques amènent logiquement à penser à un Dado doutant de la valeur du matériau traditionnel de la peinture et croyant en la multiplicité de la narration artistique. Naturellement, avec le courage incroyable de quitter les sommets auxquels il est parvenu. Est-ce uniquement à cause du travail qui lui procure un plus grand plaisir ?
La présentation de ses premiers travaux dans un tel décor est particulièrement intéressante. Pour ce qui est de son aboutissement pictural, étape de l’évolution que l’on connaît peu, le plus facile est de dire qu’il s’agit de détails descriptifs. Mais on songe, tel un pressentiment poétique, à une démarche non seulement par rapport au regard du peintre, mais à bien d’autres choses encore. Et peut-être même à un commentaire spécifique de ce qu’on appelle, en ce moment, « le retour de Dado ».
« Tout est lié. Tout ce qui se produit est lié. Ce n’est pas sur une simple toquade que cette guerre a été déclenchée. Tout le monde a œuvré à ce qu’il y ait la guerre ici, et la guerre fut faite » — dit Dado.
Le retour de Dado ou décor pour un opéra baroque,
Mladen Lompar, Cetinje, septembre 1991